« Kawtal Pelle Fulbe », un collectif d’associations Fulbé, a appelé le gouvernement sénégalais à respecter la constitution et toutes les dispositions de la loi relatives au traitement des langues nationales. Le président de l’organisation, Boubou Senghote, a fait ce plaidoyer lors d’un point de presse tenu samedi dernier dans un hôtel de Dakar..
Pulaaronline.com publie ici l’intégralité de son discours.
KAWTAL PELLE FULƁE POINT DE PRESSE
DAKAR, LE 08 JUIN 2024
Mesdames, Messieurs les Journalistes, Distingués Invités,
A travers ma voix, KAWTAL PELLE FULƁE (un Collectif d’Associations de Fulɓe légalement reconnues)remercie vivement chacun de vous d’avoir pris de son précieux temps, pour honorer de sa présence ce point de presse.
Ainsi que vous le savez, la Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) avait adopté, lors de sa dix-septième session du 16 novembre 1972, la recommandation concernant la protection sur le plan national du patrimoine culturel et naturel. Dans le même sillage, elle encourageait et soutenait la création de médias publics auxquels elle enjoignait de produire un programme inclusif qui prendrait en charge les langues nationales, pour aider à vulgariser les diversités culturelles des pays, tout en garantissant l’égalité de traitement entre elles.
C’est d’ailleurs dans un tel contexte qu’est né l’Office de Radiodiffusion Télévision du Sénégal (ORTS), devenu RTS. En 2004, le Sénégal avait adopté un « Rapport sur les mesures prises pour donner effet à la Recommandation sur la promotion et l’usage du multilinguisme et l’accès universel au cyberespace ». Dans ce cadre, le décret fixant les attributions du Ministre de l’Education disposait que : « Sous l’autorité du Premier Ministre, le Ministre de l’Education assure la promotion de l’ensemble des langues nationales et veille à leur diffusion. Il prend en compte la dimension culturelle véhiculée par chacune des langues nationales. Il conduit cette action dans le respect de l’unité de la République ».
Pareillement, l’Article 2, alinéa 2 de l’Académie sénégalaise des Langues nationales dispose que le but de l’Académie est de travailler à faire des Langues nationales un patrimoine commun à tous les Sénégalais, en vue de préserver l’unité nationale dans la diversité linguistique.
La question relative à la langue officielle et aux langues nationales au Sénégal, est régie par les Lois n° 59-003 du 24 janvier 1959, n° 60-045 du 26 août 1960, n° 63-032 du 07 mars 1963, n° 78-060 du 28 décembre 1978 et n° 2001-03 du 22 janvier 2001, ainsi que les Décrets n° 68-871 du 24 juillet 1968 et n° 71-566 du 21 mai 1971.
Aux termes de ces dispositions constitutionnelles et réglementaires, singulièrement la loi n° 59-003 du 24 janvier 1959 (qui vit le jour dans le cadre de la Fédération du Mali) qui consacrait le français comme langue officielle de la République du Sénégal, le décret n° 71-566 du 21 mai 1971 et la loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001, « La langue officielle de la République du Sénégal est le français. Les langues nationales sont le diola, le malinké, le pulaar, le sérère, le soninké, le wolof et toute autre langue nationale qui sera codifiée. »
En vertu de cette quatrième et dernière Loi constitutionnelle, à savoir, la Loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001, près de vingt (20) autres langues nationales ont été progressivement codifiées, portant ainsi le nombre total de langues qui ont rang de langues nationales à environ 26. On relève que pour le Législateur sénégalais, qui a même tenu à énumérer nos langues nationales suivant l’ordre alphabétique, aucune de celles-ci n’est supérieure aux autres. Cela est plus explicite encore dans l’exposé des motifs de la Loi n° 78-60 du 28 décembre 1978 disposant que : « …Le nombre des langues nationales du Sénégal est ainsi fixé à 6. Comme il ne saurait être question d’établir entre elles un quelconque ordre hiérarchique, elles sont énumérées dans la nouvelle disposition constitutionnelle selon l’ordre alphabétique. Ce sont le diola, le malinké, le pulaar, le sérère, le soninké et le wolof ».
Or, ces dispositions constitutionnelles et réglementaires sont violées par les différents Gouvernements qui ont eu à diriger le Sénégal au cours des vingt-quatre (24) dernières années. En effet, ces Gouvernements ont tout mis en œuvre pour imposer le wolof comme seule langue de travail, pour lui avoir octroyé vingt-deux (22) émissions dans tous les domaines sur la RTS (contre une seule émission pour donner quelques informations à chacune des autres langues nationales, du lundi au vendredi); pour avoir choisi le français et le wolof pour les discours officiels ; le wolof, le français et l’anglais au niveau de l’aéroport international Blaise-DIAGNE, du TER, à bord de la Compagnie nationale Air Sénégal ; le français et le wolof au niveau du BRT appelé encore« SUÑU BRT » ; le wolof pour les noms dans les programmes gouvernementaux et pour désigner des localités, des structures, des Sociétés publiques ou des Sociétés d’économie mixte, etc..
Dénoncer un tel parti pris pour le wolof ne relève pas, de la part de « Kawtal Pelle Fulɓe, d’une volonté de récuser cette langue. Ce que Kawtal rejette, c’est plutôt le fait que la valorisation du wolof se fasse au détriment des autres langues nationales sénégalaises qui devraient, toutes, être traitées sur un pied d’égalité.
Nous ne demandons ni plus ni moins qu’un droit que nous reconnaît la Constitution du 22 janvier 2001 de la République du Sénégal. Nous ne demandons que l’observance des dispositions législatives et réglementaires de notre pays.
Vouloir imposer une seule langue et reléguer les autres au rang de simples langues régionales et, à long terme, les rayer de la surface de la terre, pourraient être source de menace pour la stabilité de la Nation, voire pour son intégrité. Aussi, conviendrait-il, pour la préservation de la paix sociale au Sénégal, de mettre un terme à cette politique de deux poids deux mesures, en faisant prendre les dispositions nécessaires, de manière à assurer :
1)-l’égalité dans le traitement des langues nationales du Sénégal dans tous les secteurs où leur usage est requis, par l’observance des dispositions pertinentes de l’article premier, alinéa 2 de la Constitution du 22 janvier 2001 de la République du Sénégal concernant l’équité des langues nationales codifiées ; ajoutons, au prorata du nombre de locuteurs natifs de chacune desdites langues;
2)-la traduction des discours officiels sinon dans toutes les langues nationales du moins dans les six (06) principales d’entre elles à avoir été codifiées et reconnues comme telles;
3)-la refonte des programmes de la Radiotélévision Sénégalaise (RTS) pour mettre un terme définitif au traitement inique qu’elle réserve, dans ses programmes, aux autres langues nationales sénégalaises et l’exigence, par l’Etat du Sénégal, du respect par toutes les radios et télévisions privées du pays de leurs cahiers des charges, par l’inclusion des autres langues nationales dans leurs programmes respectifs;
4)-l’inclusion du pulaar au moins (vu qu’il compte le plus grand nombre de locuteurs natifs) comme langue de communication dans les systèmes de transport du pays comme « Air Sénégal », le TER, le BRT ainsi qu’au niveau de l’aéroport international Blaise-DIAGNE et dans tous les autres programmes à venir ;
5)-la modification du zonage linguistique des programmes éducatifs en prenant en considération des langues dynamiques et majoritaires comme le pulaar qui dispose d’une bibliothèque riche d’au moins dix mille (10 000) ouvrages rédigés en pulaar rien que par des écrivains Fulɓe du Sénégal et de la Mauritanie;
6)-l’utilisation, durant les grands événements nationaux (Recensements, pandémies, élections …) de toutes les langues pour que chaque citoyen puisse jouir, pleinement, de son droit élémentaire à l’information et la recommandation, à toutes les organisations privées, à encourager l’usage des langues du pays en vue d’un partage équitable des biens et services ;
7)-la traduction dans les langues nationales autres que le wolof uniquement, de toute documentation destinée à l’usage du citoyen et la promotion de la production littéraire et culturelle dans les langues nationales par l’institution d’un grand prix du Chef de l’Etat dans ce domaine ;
8)-l’application des textes concernant l’introduction de l’enseignement des langues nationales à l’école élémentaire et le renforcement du « Modèle Harmonisé de l’Enseignement Bilingue » ;
9)-l’intégration des diplômés des langues nationales dans la Fonction publique sénégalaise et leur affectation dans leurs milieux d’origine respectifs ou dans les localités où la langue dans laquelle ils ont été formés est aussi très usitée, pour y servir;
10)- la promotion et le développement des langues transfrontalières, en particulier le pulaar en tant qu’outil d’intégration africaine au sein de l’espace CEDEAO où ladite langue tous les quinze (15) pays qui le composent ;
11)-la promotion du pulaar / fulfulde qui est parlé dans une vingtaine de pays en Afrique, au rang de langue de travail de l’Union Africaine (UA) ; les textes de l’Union disposant que les langues officielles de travail sont : l’anglais, l’arabe, l’espagnol, le français, le portugais, le swahili et toute autre langue africaine ;
12)-la suppression de l’exigence d’un Certificat de nationalité à certains Sénégalais du seul fait de leurs patronymes, le plus souvent d’origine peule ;
13)-trouver une solution aux injures dont les Fulɓe (tous ceux qui ont en commun l’usage de la langue pulaar) sont l’objet dans le livre de feu le Professeur Cheikh Anta DIOP. En effet, feu le Pr DIOP qui, outre le fait de considérer que les Sérères qui ont 6 langues différentes appartiennent tous à la même ethnie, tout en refusant d’admettre que les « Peuls », les « Toucouleurs » et les « Laobés » qui partagent tous la même et unique langue sont aussi de la même ethnie, dresse un portrait inexact et offensant concernant certains membres de la Communauté peule (Cf. NATIONS NEGRES ET CULTURE, édition juin 2023 : pages 606, 606-607, 608-609, 616, etc.);
14)-surseoir à l’enseignement des Tomes II et III de « L’HISTOIRE GENERALE DU SENEGAL : DES ORIGINES A NOS JOURS ». En effet, les Fulɓe ne se retrouvent presque pas dans cette Histoire qui les a banalisés en les présentant même, assurément à tort, comme de nouveaux venus au Sénégal, des étrangers sans territoire fixe!
15)-l’érection du FUUTA, dans le cadre du découpage programmé, en Pôle de développement à part entière, nécessitant un plan d’industrialisation basé sur les ressources agricoles, pastorales et halieutiques, dans l’optique d’une conservation des noms des anciens royaumes ;
16)-privilégier les activités agro-sylvo-pastorales sur l’exploitation des minerais de phosphates qui causent des dégâts socio-environnementaux sous-estimés et une saignée des ressources vers l’extérieur ;
17)-renforcer le désenclavement et l’interconnexion des sous-zones de l’Ile à Morphile, de Hakkunde Maaje et du Diéri du Fuuta ;
18)-mettre en place des aménagements structurants sur cette partie du Sénégal: curage du fleuve, construction des berges, réinvention du transport fluvial, postes de transformation d’énergie, interconnexion numérique et infrastructurelle des sous zones, relèvement du plateau médical des hôpitaux existants, achèvement des travaux de l’Université Professeur Souleymane NIANG et du Musée d’Agnam;
19)-créer des liaisons ferroviaires entre FUUTA – JOLOF – NDAKAARU; entre FUUTA – ƁUNNDU – KAASAMAAS et entre FUUTA –WAALO – NDAKAARU.
20)-ériger en Région le Département de Podor (le deuxième plus grand Département du Sénégal après Tambacounda et au moins 2 à 3 fois plus grand que chacune des 8 sur les 14 Régions que compte le Sénégal, 164 fois plus grand en termes de superficie que toute la Région de Dakar, la capitale sénégalaise), immensément riche en ressources naturelles.
Par la Permission d’Allaahu Ta’aalaa, même l’Islam, ce sont les Fulɓe du Tekrour qui l’ont le plus répandu au Sénégal et dans toute cette partie de l’Afrique. C’est un secret de polichinelle également: les Fulɓe ont été les plus grands résistants à la pénétration coloniale en Afrique. Même les sources coloniales ont unanimement reconnu ce fait : les pertes militaires que les Fulɓe leur ont fait subir, en particulier au Fuuta-Tooro, sont infiniment plus lourdes que celles réunies qui leur ont été infligées dans tout le reste de l’Afrique noire ce, depuis même l’époque pré-almamale.
LE FUUTA ET LES FULƁE DU SENEGAL NE SONT PAS ETRANGERS A CE QUI FAIT LA GRANDEUR DE CE PAYS, A CE QUI FAIT L’HISTOIRE DU SENEGAL ! Ce, des origines à nos jours !
Nous avons tout tenté jusque-là, sans succès. Nous avons alerté massivement, aussi bien avant, qu’après la présidentielle du 24 mars 2024. Rien qu’en décembre 2003, nous avions saisi quasiment toutes les hautes Autorités de la République, pour sensibiliser : entre autres, le Chef de l’Etat, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur le Premier Ministre, Madame la Présidente du Haut Conseil des Collectivités Territoriales, Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental, Madame le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Monsieur le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Monsieur le Ministre de l’Education nationale, Monsieur le Ministre de la Culture, Monsieur le Ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Economie numérique, etc. sans parler des nombreux Députés à l’assemblée nationale, des Maires, des Chefs religieux, des Chefs coutumiers et, récemment, en février 2024, des dirigeants d’Organisations de la société civile.
En juin 2023 aussi, nous avions tout fait pour rencontrer Monsieur le Coordonnateur et représentant du Chef de l’Etat au niveau du Dialogue national. Cette démarche n’ayant pas abouti, nous lui avions fait parvenir, par l’intermédiaire de son Conseiller spécial, un document dans lequel nous avions consigné nos préoccupations.
Tout récemment, nous avons saisi Son Excellence Monsieur le Président Bassirou Diomaye Diakhar FAYE, à travers un Mémorandum et une Lettre ouverte, respectivement des 06 et 14 mai 2024 et sollicité, par la même occasion, une audience, afin de mieux le sensibiliser sur nos principales préoccupations.
Bref, toutes ces hautes Autorités ont été informées et priées d’œuvrer, afin qu’il soit mis fin à cette situation faisant de nous des Sénégalais de seconde zone dans les médias et l’espace public! Ne perdons jamais de vue cependant qu’ Allah L’Omniscient a fait de nous des hommes et des femmes de différentes couleurs et de différentes langues, afin que nous échangions et nous enrichissions mutuellement, par nos différences.
Nous relevons, par ailleurs, que certains patronymes sénégalais qui se prononcent pourtant de la même manière, sont écrits variablement, occasionnant souvent et inutilement d’innombrables demandes de jugement ou de certificats d’individualité.
Dans le même ordre d’idées, bon nombre des prénoms et autres noms de villages sont mal écrits. Aussi, une harmonisation s’imposerait-elle. Il suffirait, pour ce faire, d’instruire la Direction de l’état civil de dresser la liste de tous les patronymes sénégalais et de standardiser, pour les futurs enfants, l’orthographe des noms de famille qui se prononcent de la même manière.
Conscients que le Sénégal ne pourrait se développer dans la paix et la stabilité en niant des pans entiers de sa culture et de ses langues, KAWTAL PELLE FULƁE compte sur la compréhension de tous et de chacun, pour que justice soit faite sur les questions sus-évoquées, dans l’intérêt de notre pays, le Sénégal que nous chérissons tous !
Merci pour votre aimable attention.
Le Président
Boubou SENGHOTE